“La révélation”  Jean Enock FRANÇOIS

“La révélation”
Jean Enock FRANÇOIS



Je n’arrivais pas à comprendre ce qui m’arrivait! Le même rêve trois fois d’affiler? Je ne sais plus
ou j’en suis. Je sais que les dreams ne veulent rien dire mais ça me faisait flipper franchement. Et
hier soir c’était la catas. J’avais revu la même femme vêtue de blanc, she was here! Et elle m’avait
prise en filature. Dans mon rêve, elle me parlait, baragouinait des trucs que je ne comprenais pas.
Cette femme m’avait tendu un drôle d’objet que je sus plus tard s’appelait Açon. Depuis déjà une
semaine, ma vie commençait à prendre une autre tournure. Je me sentais désemparé. Des rêves!
Des songes, des voices! C’est tout ce que j’avais eu comme indice. Intringues. Mais cette phrase
était là, it me martelait l’esprit ” Tounen nan rasin ou, c’était la clé à tout ce que tu vivais
maintenant, ce déboire et cette poisse!
Et franchement, ma vie n’était pas rose. Depuis le décès de mère ma vie ne suivait plus le même
cours qu’avant. J’étais devenu responsable de manière prématurée et je prenais ma vie en main.
Ce qui me mettais des fois dans des postures indécentes. Mais ce devenn ne pouvait plus
continuer. Je me devais de faire quelque chose.
Je savais que je n’étais pas superstitieux. Mais en Haiti, la frontière entre le réel et l’iréel reste
flou. On est jamais sûr. Mais que faire quand tout ce que vous entreprenez se tourne contre soi?
Je ne pouvais faire autrement. Je me devais de jete dlo pou m ka konnen sa kap pase! Map
benyen chen twò lontan. Quand j’en avais parlé à Carl, mon ami d’enfance hougan assumant son
héritage Vodou. Il ne m’avait dit qu’une chose que je devais me rendre kay yon hougan rapid
pour savoir ce que les Loas attendaient de moi. Pourtant, il y avait encore cette femme en blanc
telle une obsession avec ses sing, ses words. Elle essayait d’entrer en contact avec moi. De ces
rencontres fortuites, je ne retenais que son regard apeuré et triste.
La Toussaint approchait à grand pas, je voulais en profiter pou m liminen pou lespri yo. Peutêtre qu’une offrande, yon sakrifis ap fè yo banm yon boul bolèt. M deja razè la. M bezwen kòb.
Fòm konn poukisa yo kole nan kò m konsa. On vivait les derniers jours d’octobre. Et les journées
étaient toutes pareilles. Chaleur le matin et fraîcheur la nuit. Nuageux et pluvieux. C’était ça les
saisons cycloniques en Haïti. Ma maison donnait une vue imprenable sur la baie de Port­au
Prince. Cette baie qui me montrait l’île de la Gonâve surgissant dans l’eau telle une grande
baleine caribéene. Au loin, la mer semblait calme et cette journée semblait tout aussi fascinante.
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J’étais assis calmement laissant la brise me carresser le corps quand soudainement des images de
mon rêve remontaient. Tout paraissait plus clair, les traits de son visage devinrent plus distinctifs;
je reconnus le grain de beauté sur la paupière droite! La femme en blanc murmurait Lakou leve
Jwenn, Hougan Balendjo, boule zen pou laissé passé lè mò… je me levai et griffonai tout ça sur
mon calepin que j’avais toujours à ma disposition. Je n’en revenais pas! Cette femme était ma
mère morte depuis cinq ans. Elle était là et voulait entrer en contact avec moi.
Je comptais agir mais je pris peur. J’avais peur de la suite et de ce qui allait advenir de moi. Cette
histoire ne sentait pas bon. Qu’attendait­elle de moi? Pleins d’interrogations fusaient dans ma tête?
Mwen pa t konn sa pou m panse ankò. Poukisa se kounya li fè m wè l? Mwen te santi pye m
mare paske yo tèlman di anpil vye bagay sou vodou, ou pa ta di se bagay dyab. Se vye bagay
malfektè. Mwen pa t santi m pare pou bagay si la yo! La suite de l’histoire me rendait confused!
Je pris mon tel et appelai rapidement Carl. Je lui expliquai tout dans les moindres détails. Mais il
ne semblait pas inquiet. Au contraire, il se réjouissait pour moi.
Mais au bout d’un certain moment il se mit à parler de choses semblables à un dialecte anciens
Agosi, Agola, Minokan. Mon ami Carl semblait s’y connaître. Mais il n’y avait pas que ça. À
en croire ses dires c’est le seul espace où il pouvait vivre sa sexualité. Homosexuel avéré et de
surcroît éfféminé, il subissait tout le temps des discriminations et des commentaires salaces de la
part d’autrui. Mais son statut d’hougan le protégeait. Anplis, li te renmen kase kò l. Li tap fè
dereyal. Li pat kenbe pou yon na! On peut dire que c’était ma sista. Je l’aidais et il m’aidait.
Ma rencontre avec lui remonte à très longtemps. On faisait partie de la même troupe de danse.
On dansait pour apprendre de notre histoire et notre passé. C’était le seul moyen pour se distraire
et ne pas s’ennuyer dans ce pays d’incertitude qu’est Haiti. Yon peyi tèt anba. Yon peyi
dekilakyèl où les gens sont déconnectés avec la réalité. Une réalité qui trucide. Je danse pour
oublier mes problème. J’aimais ça. Et c’était cool.
Je replongeais dans la cérémonie du Bois Caïman. Le Pétro. Je valsais aussi avec Ezili Freda
Dahomey. Dansais le Congo, le Nago des Yorubas. Un monde sacré et intense s’ouvrait à moi à
travers les chorégraphies.
Et presque de temps en temps des jeunes entraient en transe. On dit que le vodou renferme les
secrets d’Haïti. C’est un monde à découvrir, un héritage vivant. Et j’adorais sentir la sueur qui
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dégoulinait le long de mon dos. Sentir mes déhanchements lascifs lors des banda effrénés. Bèl
gouyad kap tonbe. Mwen renmen santi chalè ki t ap soti andan m ki t ap anvayi lòt moun yo.
Moun manyen moun! Mwen te renmen gade fò m moun yo nan kwen je. Et surtout, les sexes des
hommes moulés dans leurs collants. Devan yo tout te gonfle! Gen sak ki te pi gwo pase lòt! Ils
étaient sexy quoi. J’aimais en profiter et que celui qui n’a jamais été voyeur dans sa vie lance la
première. Tout moun renmen pran ti jòf yo. C’est pas la mer à boire.
Ainsi, c’est tout ce monde que communiquait la danse. La danse me rendait créative et mettait
mes sens en ébullition. C’était mon monde à moi. Et là je pouvais être moi même, une personne
expressive! Je me déchargeait dans la danse.
Ma décision était prise. Demain 1er novembre. Je vais m’y rendre à ce Lakou Leve Jwenn pour
percer ce mystère. La nuit se passa sans grand problème puis je me couchai calmement. Je ne
sais pas pourquoi mais je sentais que j’étais sûr la bonne voie et pour la première fois de ma vie
mon inquiétude avait fugué. J’avais l’âme sereine! J’allais franchir une nouvelle étape dans ma vie.
Peut être que cette petite excursion me servira pour mon mémoire de sortie en Ethnologie! On ne
sait jamais.
La nuit s’était écoulée et je me réveillai de très tôt pour me préparer. Je pris un t­shirt bleu au
motif vèvè, les signes sacrés du vodous qu’on dessinait à même le sol. Puis un pantacourt rouge.
Mes cheveux étaient attachés en queue de cheval pour faire ressortir davantage ma beauté. Il
fallait se vêtir léger à cause de cette chaleur agaçante! Je pris une sacoche, mon téléphone et un
calepin pour prendre des notes. J’étais avant tout une scientifique et je me devais de me
comporter comme tel. Carl était déjà là. J’avais eu le temps de préparer du café.
On prit une moto. Carl étant un pye poudre connaissait l’adresse. En partant, le vrombissement
du moteur attirait des attentions. Des regards curieux. Les gens du quartier était déjà là à se
poser des questions. Les commérages fusaient de toutes les directions. Ils ne faisaient que ça
d’ailleurs. On sortit de la ruelle. On devait supporter leurs regards qui en disaient longs. Injures.
Moqueries. Ironies. Marginalisation…
La moto roulait pendant une vingtaine de minutes mais c’était assez pour me rendre compte de la
foule de gens qui se ruaient vers les cimetières bondés de gens ce matin. Il n’y avait que
quelques ruines qui rappelaient le séisme. Tout le monde s’affairaient. Des déchets. Des nid de
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poule. Des bouchons. On avait bien fait de prendre la moto. L’endroit se trouvait sur une
monticule. On arriva enfin et paya le chauffeur. Je descendis, on traversa un market avec tout el
calor tropical que ça renfermait. Quelques fruits étaient étalés à même le sol. Je pensais à ma
mission qui est d’élucider et de mettre un terme à cette story. Sinon mein heirz allait en partir.
On grimpa la pente. On était dans les environs de Martissant là où ça craint. Car des bandits y
régnaient en chef! Franchement il ne manquait plus que ça. On marcha quelques minutes,
traversa des ravins. Et nous arrivâmes enfin. Je me demande bien comment Carl a t­il fait pour
connaître ces genres d’endroits mais là n’était pas la question. On verra ça plus tard. De grands
murs avaient captés mon attention. Des peintures, des images de Saint Joseph, Sainte Claire, St
Jean… Mon prof en avait parler une fois, c’est le syncrétisme. Une fusion d’éléments disparates.
Carl passa devant. Lakou leve jwenn lis­je sur un écriteau. Le même nom que dans mon rêve. Tu
parles d’une coincidence! Carl frappa la barrière à trois reprises comme pour annoncer son entrée.
Nou rantre nan Lakou an dit­il. À l’intérieur, je découvris un monde coloré et vivant. Les
femmes surtout portaient des robes blanches assorties avec d’autres couleurs. Leurs têtes ceintes
de mouchoirs. Les hommes se la jouaient plus discret. Parmi eux, un mec de teint clair me faisait
de l’effet mais je n’étais pas venue pour ça. Carl saluait pas mal de gens il les connaissait. On
m’apporta une chaise. Dans un coins, des musiciens assis devant leur tambour. Et dans un autre,
une table recouverte de victuailles allant du poisson bouccané aux bouteilles remplies de piment
séchés marinant dans un l’alcool. Par terre, un vèvè représentant une grande croix dessinée avec
de la white powder. Et à chaque extrémités se trouvaient des crânes avec des bougies noires
installées dessus. La déco faisait flipper mais j’étais du genre never give up comme le chante Sia.
C’était the greatest chose qui allait m’arriver dans ma vie. Je notai tout ça dans mon calepin.
Soudainement un grand homme fit son entrée. Il était suivi de deux femmes une portant une
cuvette blanche et l’autre l’Açon, un hochet recouvert de perle comme dans mon rêve. C’était
l’hougan suivi de ses deux housis. J’avais comme une impression de déjà vu. Elles
s’agenouillèrent et les lui remit. Miguel midole dit la foule en choeur. Au même moment, le
Yanvalou commença. Certaines femmes s’étaient attroupées et commençaient à chanter. Youn
nan yo pran kivèt lan li mete kleren ladan l, epi li vide nan kat fasad yo. Li tap avanse sous son
tanbou an. Le Yanvalou était slow et invitait à l’ondulation. Je fis comme tout le monde. Je me
lavai dans la cuvette quand ce fut mon tour, le visage et les mains. On en versa devant la barrière.
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Au loin, je vis Carl qui semblait s’éclater à fond. Le même rituel continua plizyè fwa, car de
temps en temps on salua l’arrivée de nouveaux Loas. Ils défileront devant le Poto mitan, le centre
cosmique du peristil, temple vodou. Danbala, Agawou, Marasa… Ils étaient là successivement.
Je vivais mon rêve. Le hochet. Les sons… Et le rythme changea. Salitasyon Loa pétro yo t ap fèt
kounya. Le tempo devint plus effréné. Les gens accélérèrent leurs pas. La tension montait dans la
salle.
Tout à coup, une jèn tifi ki te chita bò kote m nan pouse yon sèl kri. Elle fit un saut et se retrouva
au milieu de la foule. Elle chacella, tituba et le rhytme devint des plus saccadés entrecoupé par
des cris venant de tout coin. Elle commençait à avoir le regard vide. Elle criait la pauvre. Je ne
pouvais supporter de la voir dans cet état. Mais d’un trait elle s’effondra à même le sol puis se
réveilla d’un coup. Elle était transfiguré et louchait des yeux. Elle parlait de manière
monosyllabique. Elle répétai ke ke ke…
Je pris peur et me levai de mon siège. Je voulais quitter cet endroit. Qu’est­ce qui m’avait prit
d’ailleurs de venir ici? Mais au moment de partir une main m’avait retenu par l’épaule. C’était la
jeune fille et elle puait l’alcool. Elle me lançait un de ses regards inquisiteurs. Elle me regarda et
me dit ke ke ke… L’hougan se présenta, il servait d’interprète: Nou t ap tann ou ti tchovi. Nou
byen kont an ou te jwenn komisyon an. Jou a rive pou w vin pran plas manman w te kite pou ou
nan badji an. En fait je fausais semblant d’être calme mais au fond je paniquais! Je voudrais me
retrouver ailleurs.
M pral fè w wè pitit mwen. Et joignant le geste à la parole. Il me toucha le front. Pleins de chose
me vinrent à l’esprit. Mes songes… Je compris enfin tout. Elle voulait que je sois hougan. C’était
cet héritage là qu’elle m’avait légué. Tout à coup je ne pouvais plus tenir sur mes jambes. Je
sentis ma tête tournée. Je perdais le contrôle. Pile à ce moment, la femme mit de l’alcool dans sa
bouche et m’en aspergea le visage. Les deux premiers coups m’irritèrent les yeux et le nez. Mais
avec le troisième coup, je perdis le contrôle. Les sons me parvenaient de loin. Tout devint
sombre. Je me réveillai à même le sol devant le poto mitan. Je ne savais pas ce que je faisais pas
terre. Men moun yon tap etidye m atè an. Kòmsi yon bagay mal te rive m. La musique s’était tu.
Je me levai. J’avais mal à la tête. My cloths te sal. Mwen te vin sou menm lè m wè ougan an vini
epi li banm yon mouchwa rouj. Yeke, Yeke lavi w pa bò isit tanmen disait­il en se réjouissant. Et
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il me ceint la tete du mouchoir et me mit un collier autour du coup. Je n’avais pas remarquer que
j’étais au centre de la foule. Les gens se réjouissaient pour moi. À mon cou, j’avais un talisman
qui avait la forme d’un tambour en miniature. La révélation était faite. Tous ces détours c’était
pour que je devienne Mambo.
Les esprits avaient parlé, ils avaient fait leurs choix. Et je quittai le peristil avec un sentiment
d’épuisement, d’anxiété mais surtout de fierté. Et pendant que je traversais la grande barrière,
Carl me rejoingnais. Il était aussi content. Je me retournai, je vis Le Lakou leve jwenn, une foule
de gens en blancs avec leurs teintes ceintes de mouchoirs noirs voye dlo sikre dèyè m. Ils avaient
tous le visage enfariné! Je savais que c’était pas la dernière fois que je viendrai ici. Une
silhouette se dessinait devant le Poto mitan et je vis ma mère qui me souriait. Je lui rendis son
sourire et partit. Maintenant mon destin était tout tracé devant moi. Ayibobo!
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