Crise en Haïti: la perspective de la Mission de sécurité menée par le Kenya vue de plus près
En proie à une une violence généralisée, le pays ne fait que s’enfoncer dangereusement dans une crise multidimensionnelle sans précédent. Dans un élan de prêter main forte au pays, le Kenya, contre toute attente, a annoncé, le 29 juillet 2023, Kenya qu’il “envisageait favorablement” l’idée de prendre la tête d’une force de sécurité internationale pour aider à rétablir un climat de sécurité. Joignant l’acte à la parole, le gouvernement Kenyan a dépêché une mission d’évaluation de vingt membres, qui a atterri le 20 août dans le pays, en vue de discuter avec les autorités locales, notamment les représentants de la police nationale.
Durant le premier semestre de cette année, plus de 1 500 meurtres ont été enregistrés selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) qui souligne que la plupart de ces meurtres sont commis par des gangs armés. Incapable de remédier à la situation, l’État Haïtien n’a eu d’autre choix que de lancer, auprès des grands pays dits “amis” d’Haïti, un appel à l’aide qui restera sans réponse satisfaisante.
Face aux hésitations des puissances occidentales, la solution tant attendue par première nation noire libre semble venir de l’ Afrique de l’Est. Le Kenya. Une nation qui n’est pas à son coup d’essai dans les missions de maintien de la paix.
Depuis des années, l’armée kényane a fait preuve d’une présence active dans les opérations de maintien de la paix, notamment au sein de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). Cet historique soulève naturellement la question de sa capacité à diriger une force internationale en Haïti pour résoudre le problème de l’insécurité.
L’expérience opérationnelle acquise par l’armée kényane au sein de l’AMISOM est indéniablement un atout à prendre en compte. Les opérations de maintien de la paix en Somalie ont été marquées par des succès, mais aussi par des revers, rappelant ainsi la complexité inhérente à de telles missions. Cette expérience pourrait fournir un socle de connaissances tactiques et logistiques, bien que le contexte opérationnel haïtien puisse différer sensiblement de celui de la Somalie.
Quoique certains sont favorables à l’idée d’une force internationale, comme l’indique le rapport de l’AGERCA publié la semaine écoulée, il est important de souligner que l’efficacité d’une force internationale en Haïti dépendra d’une multitude de facteurs interdépendants. La compréhension fine du tissu social, politique et économique haïtien sera cruciale pour orienter les efforts. De plus, la coordination avec les autres nations participantes sera une pierre angulaire du succès. Les leçons tirées des expériences passées, qu’elles soient positives ou négatives, devront guider les décisions tactiques et stratégiques.
Aspect financier
Le coût d’une éventuelle intervention militaire en Haïti s’estime entre 200 et 400 millions de dollars américains par an, selon Todd Robinson, l’émissaire américain qui a dirigé la mission américaine au Kenya.
Le budget de la défense du Kenya pour 2023 est de 11,6 milliards de dollars américains soit 1,5% du PIB national. Une aventure à 400 millions annuel – quoique les dépenses seraient partagées – pèsera lourd dans la balance.
À titre de comparaison, le coût de la MINUSTAH (2004-2017) à son plus bas niveau était estimé à $700 million. Cette mission a été financé par les contributions des États membres des Nations Unies. Les États-Unis ont été le plus grand contributeur à la MINUSTAH, suivis du Japon et de l’Allemagne.
La MINUSTAH a été critiquée pour son coût élevé et son inefficacité. Certains ont soutenu que la MINUSTAH n’a pas réussi à stabiliser Haïti et qu’elle a même contribué à l’instabilité du pays. D’autres ont soutenu que la MINUSTAH a joué un rôle important dans la stabilisation d’Haïti et qu’elle a permis d’éviter une guerre civile.
Aspect technique
La modernisation de la KDF (Kenyan Defense Forces) est en cours, motivée par la nécessité de contrer l’instabilité dans la région de l’Afrique de l’Est et l’obsolescence des technologies de pointe. La coopération en matière de sécurité entre les États-Unis et le Kenya est forte, avec la livraison réussie d’hélicoptères d’attaque légers et d’équipements terrestres par le biais des ventes militaires à l’étranger (FMS). Les ventes commerciales directes ont également augmenté avec la constante augmentation du budget de défense du Kenya.
Malgré les progrès accomplis, il existe encore des défis dans le secteur, tels que des processus d’acquisition opaques et imprévisibles, des contraintes budgétaires importantes et un manque de transparence. Les entreprises américaines sont donc invitées à envisager de travailler avec des partenaires et des représentants locaux pour surmonter ces défis.
Quid des abus dont on accuse les forces de police Kényanes?
Alors que le gouvernement américain envisageait de nommer le Kenya pour diriger une force multinationale en Haïti, il avertissait également ouvertement les officiers de police kenyans contre les abus violents. Maintenant, 1 000 de ces officiers pourraient se rendre en Haïti pour lutter contre la guerre des gangs.
C’est un tournant difficile pour une force de police longtemps accusée par les organisations de défense des droits de l’homme de meurtres et de torture, y compris de tirs sur des civils pendant le couvre-feu COVID-19 du Kenya. Un groupe local a confirmé que des agents avaient abattu plus de 30 personnes en juillet, tous dans les quartiers les plus pauvres du Kenya, lors de manifestations de l’opposition contre la hausse du coût de la vie.
Alors que l’expérience des opérations de maintien de la paix en Somalie peut offrir des enseignements précieux, elle ne garantit pas une transposition directe des succès passés en Haïti. L’adaptabilité et la flexibilité de l’armée kényane seront mises à l’épreuve face à un environnement complexe et dynamique. L’histoire nous enseigne que chaque situation opérationnelle est unique, nécessitant une approche sur mesure.
À noter qu’une délégation du Kenya effectuera une visite de terrain, en Haïti, le 19 août prochain. Cette délégation armée pourrait défiler dans la capitale, selon une source officielle. Première économie de la communauté d’Afrique de l’Est (CAE), le Kenya intervient dans plusieurs pays pour aider au rétablissement de la paix.
Il est évident que l’armée kényane possède une expérience pertinente dans les opérations de maintien de la paix, toutefois l’optimisme quant à sa capacité à diriger une force internationale en Haïti doit être tempéré par une compréhension approfondie des défis spécifiques et une stratégie adaptée.
Rodney Zulmé